Suite au suicide tragique de Christine Renon, directrice d’une école en Seine Saint Denis, j’ai décidé d’écrire mon coup de gueule en sa mémoire.
Je suis directeur d’une école de 184 élèves et 7 classes. J’ai également en charge la classe de cm1 cm2 (un double niveau à 27 élèves pour ne pas m’ennuyer !). J’ai un seul jour de décharge par semaine.
Les conditions de travail en tant que directeur se dégradent d’années en années. Les responsabilités augmentent, la hiérarchie nous en demande toujours plus avec une reconnaissance qui est inversement proportionnelle. Quand je parle de « hiérarchie », j’englobe toute la hiérarchie (jusqu’au ministre) et pas uniquement mon IEN qui a également beaucoup de pression « d’en haut ». Le soutien que nous avons est le plus souvent pour nous dire de prendre des précautions au niveau des responsabilités qui nous incombent, de ne pas faire de vague sur les problèmes qui se trouvent à l’école, surtout vis-à-vis des parents et des médias. On nous demande de développer l’école, mais on insiste bien sur le fait qu’il y a plein de choses qu’on n’a pas le droit de faire (mener des projets avec des entreprises, même si pour une fois, c’est gratuit alors que l’Éducation Nationale est incapable de nous fournir ces prestations ; organiser des sorties sportives pour lesquels les taux d’encadrement sont de plus en plus drastiques uniquement pour se « couvrir » en laissant de côté le « pédagogique »…).
Dernier soutien en date : le décès du Président Jacques Chirac. J’ai reçu en tant que directeur la circulaire que le Premier ministre a envoyé à ses ministres. Cette circulaire n’était absolument pas à destination des directeurs et j’ai donc demandé au cabinet de la DSDEN lundi à 10h si un moment de recueillement avait été décidé par la DASEN ou pas (puisqu’en tant que « simple » directeur, ce n’est pas à moi d’interpréter cette circulaire, qui je le rappelle, s’adressait aux ministres). J’attends toujours la réponse de l’Inspection (nous sommes mercredi matin). Je précise que lors des réunions des directeurs, la hiérarchie insiste bien sur l’importance de la « voix hiérarchique », ce que j’ai donc parfaitement appliqué avec le cas du décès de notre ancien Président de la République.
À chaque ministre, l’Éducation Nationale s’interroge sur les résultats des élèves aux nombreuses évaluations nationales et internationales et la solution est toujours la même : changer une fois de plus les programmes (1995, 2002, 2008, 2015, ajustements 2018). J’apprécie vraiment les programmes les plus récents, même si je trouve qu’il y a trop de choses à enseigner. En effet, avec les mêmes horaires, en quelques années, nous devons enseigner l’EMC, l’histoire de l’Art, les gestes de premiers secours, le permis piéton, le permis vélo (la gendarmerie à de moins en moins de moyens pour cette formation et annule les interventions), le brevet de natation (avec pas ou peu de séances de natation car pas assez d’infrastructures), le brevet informatique (avec des ordinateurs d’un autre temps),… En quelques mots, l’Éducation Nationale, c’est : « Faites toujours plus mais sans moyens ».
Voici une petite liste (il faudrait plusieurs pages pour tout écrire) de ce qu’il faut faire au niveau de la direction en plus de ma classe, car je n’ai qu’un seul jour de décharge :
– On doit gérer une équipe : répartir les élèves et les enseignants dans les classes (c’est l’unique chose qu’on peut faire de manière autoritaire envers nos collègues), gérer le budget de la mairie pour tous les collègues, gérer le budget de la coopérative scolaire (et oui dans les faits, c’est généralement le directeur qui s’y colle), gérer les décloisonnements quand certains collègues ne veulent pas (je rappelle que je ne suis pas supérieur hiérarchique et que je ne peux rien imposer), organiser des réunions pour les enfants à besoins particuliers, gérer les transports scolaires et les autorisations de sorties de toutes les classes, gérer les problèmes de garde de certains enfants, répondre aux demandes de notre hiérarchie sur le projet d’école (je ne vais même pas polémiquer sur ce projet), sur des documents à envoyer, mettre en place et mettre à jour le DUER, le PPMS, les PAI, PAP, PPRE…, organiser les élections des représentants des parents d’élèves alors que le résultat est connu à l’avance (parents élus avec 100% des suffrages exprimés puisque une seule liste dans mon école)…
– On doit gérer également la partie avec les parents : les appels ou mails des familles pour dire que son enfant est malade et ne viendra pas, entendre dire qu’on n’est pas d’accord avec ce qu’il y avait à manger à la cantine, se plaindre des autres parents qui se garent mal devant l’école, de la municipalité qui ne fait rien pour l’école (alors que franchement je suis plutôt aidé de ce côté), qu’on veut que son enfant soit avec tel ou tel enseignant…
– On a également le volet « mairie » : gérer les budgets des fournitures, les réparations dans l’école, la gestion des ATSEM et du personnel de la commune mis à disposition de l’école, trouver des solutions lors d’absences régulières d’une ATSEM…
Bon, je crois que je vais en rester là sur cette énumération à la Prévert de ce que je dois faire avec seulement 1 seul jour de décharge. Ah si ! Il faut que j’ajoute que je n’ai aucun statut en tant que directeur. Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec le second degré. Je vous relate rapidement un échange, il y a un an, avec une amie qui est CPE dans un collège de 160 élèves (24 élèves de moins que dans mon école). Au niveau du personnel (je ne compte pas les enseignants et pourtant il y en a beaucoup plus que nous), il y a 1 principal à plein temps, 1 CPE à plein temps, 4 assistants d’éducation à temps complet pour gérer les élèves et la surveillance (chez nous, c’est chaque enseignant qui fait ça), 1 secrétaire à temps plein, 1 comptable à plein temps et plusieurs personnes pour l’entretien des locaux et la restauration. De notre côté, c’est du personnel mis à disposition de la mairie pour l’entretien des locaux et la restauration. Mais pour le reste (secrétariat, gestion de l’école, des budgets, des élèves…), c’est plus simple : c’est au directeur de tout faire en plus de la gestion de sa classe.
Pour ceux qui n’aurait pas bien compris, tout cela ne peut pas se faire en une journée de décharge et je suis bien obligé de faire ça le soir, le weekend… Il est grand temps que ça change !
Pas de vague…:(
Oh que je te comprends ! Et pourtant, moi je vis une situation bien plus simple : école de deux classes, avec une journée de décharge par mois. Ce qui est plus simple : la gestion de l’équipe pédagogique ! Avec une collègue avec qui je m’entends super bien, je n’ai pas de gestion à faire. Mais pour le reste : tout pareil !
Bon courage !
Comme tu le dis on pourrait compléter ta liste pendant un bon bout de temps : gérer les logiciels qui changent dès qu’on commence à les maîtriser, ONDE, BAIE, les rapports avec la com de com de plus en plus grande et de plus en plus distante, l’accueil des stagiaires ( que l’on peut accepter ou pas selon leur niveau d’étude ) , gérer les conventions de stage, l’accueil de leurs tuteurs. Idem pour les jeunes collègues qui assurent ma décharge (FSR) depuis 6 années maintenant. Penser à commander les cartouches de Toner pour la photocopieuse, penser à donner le solde des commandes à mes collègues, transférer les convocations aux formations, les états de présence, les enquêtes grévistes etc….
J’ai 56 ans, entre 240 et 270 élèves selon les années, je suis déchargé à 50 %, et moi aussi je suis fatigué !
Comme le disait un dessin humoristique que j’ai vu sur FB : semaines de classe 4, ressenties 26 ….
100% d’accord avec ton ajout !
Bel exposé
Tu peux partager sur le groupe FB « Parce que cela ne peut pas continuer ainsi » si tu veux
je vais le faire, dès que tu auras validé ma demande pour rejoindre le groupe
Je vis exactement la même situation que toi.
197 éleves pour 8 classes.
2 jours de décharge à titre exceptionnel pour 1 an
32 CM2 dans ma classe
30 en CM1
Je passerai sans soute à 1 seul jour de décharge l an prochain
Et j arrive dans une nouvelle école où sans ouveture de la porte à distance je joue au concierge tous les jours sur 2 etages…en attendant les entreprises…
Pour le reste tout pareil. Semaines d enfer pour garder la tête hors de l eau.
Directrice de 5 classes en milieu rural…(seulement 108 élèves) je suis 150% d’accord avec ce que tu dépeins. Dernieres absurdités dans la liste des tâches: établir les avenants des contrats PEC (de droit privé) en triple exemplaires pour les 3 AESH de l’école, et vérifier qu’il n’y a pas dde dépôts de suie noire dans la cour de l’école, si c’était cas,.faire en sorte qu’elle soit évincée au jet d’eau avant l’accueil des élèves….